J'ai pris un café avec l'infiltrateur du Parti conservateur
- katerinafrederic
- 25 sept. 2015
- 4 min de lecture
Ancien candidat conservateur dans Papineau qui s’y présente maintenant comme candidat indépendant, l’artiste montréalais d’origine néoécossaise Chris Lloyd m’a joyeusement accompagné au Em Café sur l’avenue Bernard où nous avons discuté de politiques conservatrices et d’art. Nous nous sommes rencontrés vers 11 :00 dans ce petit café de quartier, bien à l’abri de cette froide brise d’octobre.
Menu sur ardoise, peintures placardées au mur, musique jazz et café corsé, l’ambiance chaleureuse se prêtait drôlement bien aux idées que nous allions échanger. Président de l’association conservatrice de Papineau de 2011 à 2015, Chris Lloyd représentait le Parti conservateur de sa circonscription depuis février 2015 avant de donner sa démission en mai dernier après avoir été démasqué par un journaliste de CBC. L’ironie est de constater que ce père de famille de 42 ans n’endosse aucune des politiques conservatrices. Il s’agissait plutôt d’une expérience d’infiltration réalisée dans le cadre de sa pratique artistique !

C’était l’amusante contradiction entre les politiques conservatrices en matière de culture et votre rapport à l’art qui vous aurait poussé à entreprendre de telles démarches ?
Toutes les politiques conservatrices concernant les arts depuis 2006 ont joué un rôle important dans ma décision de m’amuser, en quelque sorte avec le parti. C’était un gouvernement majoritaire qui gérait le pays un peu comme un dictateur. Il changeait les lois et introduisait des politiques qui ne faisaient pas l’unanimité. Les conservateurs ont joué avec le système comme ils voulaient alors j’ai décidé de jouer avec le parti. J’ai décidé de proposer ma candidature dans Papineau, une faible circonscription faible pour les conservateurs où il n’y avait même pas de représentant et elle a été acceptée sans qu’aucune enquête ne soit menée sur mes intentions. Ils ne se sont même pas demandé si je partageais les valeurs du parti !
Le projet d’infiltration s’inscrit dans un continuum artistique dans lequel il y a également le plus gros morceau de votre œuvre, les lettres quotidiennes destinées au premier ministre Dear PM.
En fait, le projet Dear PM était le début de quelque chose. J’ai commencé à écrire des nouvelles sur ma vie personnelle au premier ministre le 1er janvier 2001. Quand j’ai commencé, on me demandait ce que j’allais en faire et quand j’allais clore le projet. C’est une question à laquelle je n’ai toujours pas de réponse. Ça fait quand même 15 ans que j’écris au premier ministre presque quotidiennement et je n’ai toujours pas reçu de réponse.
Je me disais que le premier ministre était une figure qui devait représenter tous les Canadiens, alors je voulais qu’il sache ce que vivait réellement la population dans la banalité de son quotidien. Je voulais comparer la vie d’un homme politique qui habite au 24 Sussex et la vie des vrais Canadiens, pour voir s’il était réellement à l’écoute de ses citoyens. Étant donné que j’écrivais au premier ministre par courriel, j’ai parfois testé le système de courriel du gouvernement en utilisant des mots qui auraient pu être détectés par un système de filtrage automatisé. En voulant voir si j’aurais plus de chance de réponse, j’utilisais des mots-clés comme lorsque je parlais des couches « explosives » de mon bébé. C’est drôle parce que ni ces hameçons ni les 365 lettres annuellement envoyées de la part du même expéditeur n’ont soulevé leur questionnement.
En février, j’ai été nommé candidat et on m’a demandé d’arrêter de faire des tweets directs au premier ministre et de cesser l’envoi de courriels peu de temps après. J’ai répondu que je cesserais de twitter directement le premier ministre, mais que j’avais tout de même une pratique artistique avec mes lettres quotidiennes. Quel lien faites-vous entre la politique et l’art ? S’agit-il de deux mondes complètement opposés ? Dans la pratique, il y a plus de ressemblances entre les deux qu’on croit, mais c’est certain que les communautés sont différentes. Je trouvais qu’il y avait plus d’artistes politiquement engagés que de politiciens engagés dans l’art. Plus tôt cette année, j’avais un projet lié avec les gobelets Tim Horton qui tourne autour de l’identité canadienne et le nationalisme ; j’ai ciblé Tim Horton, la chaine de restauration, mais aussi l’ancien joueur de hockey. Je me demande comment un café peut gouter la même merde d’est en ouest du Canada ; c’est de l’uniformisation de café sur 5000 kilomètres. Je fais un parallèle entre le mauvais café de Tim Horton et la politique canadienne.
Comment peut-on avoir les mêmes politiques et les mêmes valeurs d’une côte à l’autre du pays ? Les petits cafés sont en train de disparaitre sous l’emblème Tim Horton un peu comme les politiciens indépendants à l’ombre des grands partis. Le problème fondamental de notre système est qu’il s’agit d’un concours de popularité : le but est d’arriver en premier à la fin de la course et non d’avoir des idées.
Quel serait un système démocratique idéal, selon vous ?
Je crois qu’un système proportionnel serait idéal et le modèle que je préfère est celui ayant un barème préférentiel dans lequel on vote pour tous les candidats qui se présentent en les plaçant en ordre de préférence. Il y a une façon de déterminer qui fait le plus l’unanimité et pas seulement celui qui peut avoir le plus de votes. Ainsi, les gens ne voteraient pas seulement pour ou contre un parti, mais pour ceux qu’ils favorisent pour les représenter. Avec le système actuel, le pouvoir a toujours été très concentré autour des bureaux du premier ministre. C’est un fait que même Justin Trudeau a confirmé et sur lequel il prévoit intervenir. Si on adopte un système avec une représentation proportionnelle, ça donnera plus de pouvoir aux petits partis et la composition parlementaire changerait.
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